Fiscalité des biens immobiliers détenus aux Émirats par un résident fiscal français : régime applicable, convention fiscale et conséquences juridiques
- Akram Cheik - Lawyer
- 11 juil.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 5 sept.
De plus en plus de contribuables français investissent dans l’immobilier aux Émirats arabes unis, séduits par la stabilité du marché, l’absence d’impôt local sur le revenu et la souplesse du droit de propriété à Dubaï ou Abu Dhabi. Néanmoins, cette réalité économique doit être mise en perspective avec les obligations fiscales françaises, notamment lorsque le propriétaire du bien reste résident fiscal en France.
La question de l’imposition en France des revenus ou plus-values provenant d’un bien situé à l’étranger est régie à la fois par le Code général des impôts et par les conventions fiscales internationales. S’agissant des Émirats arabes unis, une convention fiscale bilatérale signée le 19 juillet 1989 (décret n° 90-728 du 8 août 1990) est en vigueur et permet d'éviter certaines doubles impositions, tout en laissant à la France des prérogatives d'imposition dans de nombreux cas.
Dès lors, il convient de déterminer si un résident fiscal français est imposable en France sur un bien situé à Dubaï, meublé ou non, loué ou non, et selon quelle base légale. Il convient également de rappeler la primauté juridique des conventions fiscales sur le droit interne et d’illustrer les conséquences de cette articulation à travers des cas concrets et des décisions jurisprudentielles établies.
Ce cadre nous conduit à articuler l’analyse en deux temps : d’abord, l’encadrement juridique et conventionnel de la fiscalité immobilière internationale ; ensuite, l’application concrète aux cas de biens situés aux Émirats et les conséquences pratiques pour le résident fiscal français.
I. Un encadrement juridique structuré par le Code général des impôts et la convention fiscale bilatérale
A. La primauté de la convention fiscale franco-émirienne sur les règles du droit interne
En application de l’article 55 de la Constitution française, les conventions fiscales internationales dûment ratifiées et publiées priment sur les lois internes françaises. Ainsi, la convention fiscale du 19 juillet 1989 conclue entre la France et les Émirats arabes unis s’impose aux dispositions du Code général des impôts dès lors qu’elle trouve à s’appliquer.
L’article 6 de ladite convention précise que les revenus provenant de biens immobiliers sont imposables dans l’État où ces biens sont situés, soit aux Émirats dans le cas présent. Toutefois, cela ne signifie pas que la France renonce à toute imposition : l’article 23 § 2 de la convention prévoit que la France, en tant qu’État de résidence du contribuable, peut imposer ces revenus, tout en accordant un crédit d’impôt fictif égal à l’impôt étranger théorique, même si aucun impôt n’a été acquitté localement.
Ainsi, contrairement à une idée reçue, l’absence d’impôt sur le revenu aux Émirats n’exonère pas automatiquement le résident fiscal français de toute imposition sur les loyers perçus à Dubaï. Ce mécanisme, qualifié de "crédit d'impôt égal à l'impôt français", aboutit dans les faits à une imposition intégrale en France.
B. Le régime fiscal interne applicable en l’absence ou en complément de la convention
Conformément à l’article 4 A du Code général des impôts, les personnes domiciliées fiscalement en France sont imposables à raison de l’ensemble de leurs revenus mondiaux. Les revenus fonciers issus d’un bien situé à l’étranger sont donc, par principe, imposables en France, même s’ils proviennent d’un pays n’ayant pas d’impôt local sur le revenu.
L’article 13 du CGI précise que ces revenus doivent être déclarés en tant que revenus fonciers, et l’article 14 prévoit leur intégration au revenu net global. Si le bien est loué nu, le régime foncier classique s’applique, avec possibilité d’opter pour le micro-foncier sous conditions. Si le bien est meublé, les revenus doivent être déclarés sous le régime des bénéfices industriels et commerciaux (BIC), avec des obligations comptables spécifiques.
Dans tous les cas, le propriétaire est tenu de déclarer ces revenus via les formulaires 2047 (revenus de source étrangère) et 2044 (revenus fonciers), le cas échéant. En cas d’omission, il s’expose à des rappels d’impôts, à une majoration de 10 % et à des intérêts de retard, conformément à l’article 1727 du CGI.
II. Conséquences pratiques selon le type de bien, d’usage et la résidence fiscale du propriétaire
A. Biens meublés ou non, loués ou non : régime différencié et obligations déclaratives
Lorsque le bien immobilier situé aux Émirats n’est pas loué, il n’y a pas de revenu à déclarer mais il reste une obligation de déclaration de détention d’avoirs à l’étranger via le formulaire n°3916 bis. Cette obligation découle de l’article 1649 A du CGI et a été rappelée dans plusieurs arrêts, dont CE, 20 novembre 1996, n° 148038.
En cas de mise en location nue, le régime des revenus fonciers s’applique, comme prévu par l’article 15 du CGI, avec possibilité de déduire certaines charges (frais de gestion, intérêts d’emprunt, taxe foncière, etc.). Si le bien est meublé, l’activité est assimilée à une activité commerciale, soumise au régime des BIC, et le contribuable doit tenir une comptabilité spécifique.
Dans tous les cas, même si aucun impôt n’est prélevé aux Émirats, la France conserve le droit d’imposer intégralement ces revenus, conformément à l’article 23 § 2 de la convention fiscale.
B. Impact de la résidence fiscale et cas d’exonération ou d’imposition réelle
Si le contribuable devient résident fiscal aux Émirats au sens de l’article 4 de la convention (c’est-à-dire qu’il a son domicile ou centre d’intérêt économique principal aux Émirats), alors les règles d’imposition changent. La France ne pourra imposer les revenus immobiliers que si elle conserve un lien d’imposition, notamment via la clause de résidence fiscale partagée.
Toutefois, en pratique, la résidence fiscale aux Émirats n’est pas automatique même avec un visa long séjour. Il faut démontrer un transfert effectif du foyer fiscal, ce qui implique l’abandon du domicile fiscal en France. Cette appréciation est souveraine et a fait l’objet de plusieurs décisions, notamment CE, 25 mai 2016, n° 377904, où le Conseil d’État a jugé que l’inscription à un registre consulaire ou la possession d’un visa ne suffisait pas à caractériser la perte de la résidence fiscale française.
Ainsi, tant que le contribuable reste résident fiscal en France, il demeure imposable sur les revenus immobiliers provenant des Émirats, selon les mécanismes internes du CGI et les règles prévues par la convention. À l’inverse, en cas de résidence fiscale avérée aux Émirats, les loyers perçus à Dubaï ne sont plus imposables en France, sauf disposition contraire de la convention applicable.

Commentaires