top of page
Gratte-ciel

Cryptomonnaies aux Émirats arabes unis : cadre juridique, tolérance bancaire et traitement fiscal des stablecoins

es Émirats arabes unis, et plus particulièrement Dubaï et Abu Dhabi, ont émergé comme des juridictions attractives pour les acteurs du secteur des actifs numériques. En tant que place financière en expansion, le pays a adopté une approche réglementaire pragmatique à l’égard des cryptomonnaies, cherchant à concilier innovation technologique et stabilité financière. Néanmoins, des incertitudes subsistent quant au traitement des flux issus de la conversion de crypto-actifs, à l'attitude réelle des établissements bancaires face à ces opérations, ainsi qu’à la qualification fiscale des stablecoins, notamment lorsqu’ils sont détenus par des résidents étrangers

En pratique, les banques locales refusent régulièrement les transferts issus de plateformes d’échange ou d’opérations de cash out directes, alors même que les opérations d’achat-vente entre particuliers ou sociétés restent tolérées à condition qu’elles soient documentées et ne relèvent pas du blanchiment. Par ailleurs, la fiscalité applicable aux plus-values sur les cryptomonnaies, en particulier aux stablecoins comme l’USDT, soulève des interrogations pour les non-résidents, notamment européens, qui détiennent ces actifs à des fins de conservation de valeur ou de paiement

Le présent article se propose d’analyser, d’une part, le cadre réglementaire applicable aux cryptomonnaies aux Émirats arabes unis, et d’autre part, les pratiques bancaires et la qualification fiscale des gains ou mouvements de stablecoins comme l’USDT, en tenant compte du droit positif

local et des règles fiscales transfrontalières



I. Cadre juridique émirien relatif aux actifs numériques



A. Reconnaissance réglementaire et statut juridique des cryptomonnaies



La réglementation émirienne distingue explicitement les actifs virtuels (virtual assets) et les jetons de services numériques (utility tokens), sans pour autant assimiler ces instruments à une monnaie ayant cours légal. Le texte de référence demeure le Federal Decree-Law No. 4 of 2022 Regarding the Regulation of Virtual Assets, qui établit un cadre général pour l’activité d’émission, de courtage, de garde et d’échange d’actifs numériques aux Émirats arabes unis

Ce texte confie à l’Autorité des actifs virtuels (VARA) à Dubaï et à l’ADGM Financial Services Regulatory Authority (FSRA) à Abu Dhabi la compétence exclusive pour autoriser les opérateurs d’actifs numériques, encadrer les plateformes d’échange, approuver les jetons et superviser les pratiques en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Ces autorités publient régulièrement des règlements sectoriels, notamment sur la conservation, la protection des consommateurs et les obligations des fournisseurs de services liés aux crypto-actifs

S’il n’existe pas d’interdiction générale relative à la détention ou à l’utilisation de cryptomonnaies, les Émirats n’ont pas reconnu le Bitcoin ou l’USDT comme moyen de paiement officiel. En revanche, les actifs numériques sont autorisés dans des conditions précises, à la condition qu’ils soient traités par des entités dûment enregistrées et que les opérations soient tracées conformément aux obligations du Cabinet Decision No. 10 of 2019 on AML/CFT



B. Position ambivalente des établissements bancaires traditionnels



En dépit de l’ouverture réglementaire, les banques traditionnelles aux Émirats adoptent une position prudente, voire restrictive, vis-à-vis des flux financiers issus de la conversion de crypto-actifs. En pratique, la majorité des établissements refusent les virements provenant directement de plateformes d’échange, y compris réglementées, en raison du risque perçu de non-conformité aux règles AML ou de la difficulté à tracer l’origine des fonds

Ce refus n’est pas fondé sur une interdiction légale explicite, mais sur la politique interne des banques, laquelle varie en fonction du profil du client, du volume de l’opération et de la documentation présentée. En revanche, les transactions de gré à gré (OTC) ou les échanges privés de cryptomonnaies contre de la monnaie fiat, réalisés entre personnes physiques ou entités commerciales, sont tolérés sous réserve de démontrer la licéité des fonds, la conformité des opérations et l’absence de structure opaque

L’ouverture d’un compte bancaire professionnel destiné à une activité liée aux cryptomonnaies demeure possible, à condition d’obtenir une licence délivrée par la VARA ou par une autorité de zone franche spécialisée, tel que le DMCC ou le DIFC. Cette licence permet de régulariser les opérations de change, de facturation ou de services numériques fondés sur les crypto-actifs



II. Traitement fiscal des stablecoins et qualification des plus-values


A. Absence de fiscalité locale sur les plus-values en capital



Les Émirats arabes unis ne prévoient actuellement aucune fiscalité directe sur les plus-values de cession d’actifs numériques, y compris lorsqu’il s’agit de gains réalisés à titre personnel. Cette absence de taxation concerne également les opérations portant sur des stablecoins comme l’USDT, dès lors qu’elles ne relèvent pas d’une activité commerciale ou professionnelle générant un bénéfice imposable au titre du Federal Corporate Tax Decree No. 47 of 2022

Toutefois, si une société émirienne réglementée par la VARA détient un portefeuille crypto et réalise des plus-values dans le cadre de son activité commerciale, les bénéfices nets excédant le seuil de 375 000 AED peuvent être soumis à l’impôt sur les sociétés à un taux de 9 %. Dans les cas où les stablecoins sont uniquement utilisés comme réserve de valeur ou instrument de change sans variation significative, aucune plus-value n’est constatée ni imposable au regard du droit local

Dans les faits, l’USDT, étant adossé au dollar américain, n’est pas censé générer de gain latent. Toutefois, toute conversion en monnaie fiduciaire autre que l’USD ou toute transaction générant un écart de change dans un autre pays peut, dans certaines juridictions, produire un fait générateur fiscal


B. Risques fiscaux pour les résidents fiscaux européens



Pour les personnes physiques ou morales de nationalité européenne résidant fiscalement en France, en Belgique ou dans un autre État membre de l’Union européenne, le droit fiscal national prime sur l’absence de taxation émirienne. Ainsi, un résident fiscal français doit en principe déclarer toute cession d’actifs numériques à titre onéreux, y compris lorsqu’il s’agit d’un stablecoin, en application de l’article 150 VH bis du Code général des impôts

La doctrine administrative française considère que la conversion d’un stablecoin en euro, même à parité constante, constitue une cession génératrice d’un gain si le stablecoin a été acquis à une autre valeur. Il en résulte une plus-value imposable, sauf si l’actif est simplement transféré d’un wallet à un autre ou converti à montant constant sans opération économique sous-jacente

En l’absence de cession déclarée, les autorités fiscales françaises peuvent considérer que le contribuable a dissimulé un revenu ou un gain patrimonial, notamment en cas de rapatriement de fonds depuis les Émirats vers la France. Il est donc indispensable de documenter précisément l’origine des fonds, les dates d’acquisition des stablecoins, leur mode de conversion, et la résidence fiscale effective du détenteur


Akram Cheik, Lawyer
Akram Cheik, Lawyer

 
 
 

Commentaires


bottom of page